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CARIANE
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CARIANE
7 janvier 2008

le camp de travaux "archi-tramé"

QG_Drude1 La baraque Q.G. du Gl Drude en 1907 Certes, Casablanca n'eut pas de modèle endogène de citadinité moyen-âgeuse, aussi prestigieux que Fès ou Marrakech, mais l'embryon archaïque de la Casbah n'en était pas moins traditionnel. Il fut facilement phagocyté par un modèle exogène d'urbanité moderne dominant, dont l'une des premières symboliques fut la baraque, aussi primitive soit-elle. Le général Drude ne lui exprima-t-il pas l'hommage dû à un habitat humain? Au débarquement de 1907, le Commandant des troupes d'occupation française, prédécesseur du général Lyautey, n'installa-t-il pas son Q.G. de conquérant dans une baraque? Certes, elle n'eut que le nom à partager avec une bicoque ordinaire de l'actuel Cariane, mais elle fut, sinon le modèle, du moins l'aïeule de toutes les baraques des Carianes du Maroc. Imposante de taille, avec son toit en ados couvert de zing et ses larges marches accédant à une vaste terrasse, elle rappelait les cabanes des pionniers du Far-West, le rocking-chair et la guitare en moins. Installée dans le petit square attenant au Théâtre municipal, elle devint l'Office postal militaire, puis par la suite la première Ecole des Beaux Arts. Là où ils vont, explorateurs et colons s'installèrent dans des tentes militaires, faciles à transporter, puis construisirent des cabanes en bois dans un territoire pacifié. En 1910, le bois fut un matériau rare et cher, pour que deux importateurs ouvrirent un comptoir de matériaux de construction au port et firent fortune d'un standard "made in France", dont s'inspirèrent les premiers hangars des fabriques. Loin de l'image qu'on se fit, le bidonville ne fut donc pas à sa naissance, un amas d'habitats auto-montés et chaotiques, partant dans tous les sens. Comme la baraque n'était pas faite de tout venant, d'un peu de tout et beaucoup de n'importe quoi, dans un cocktail "méli-mélo" de matériaux disparates, plaqués sur un substrat en bois. Après son installation comme camp de travaux sous tentes, le nouveau baraquement était réservé à l'encadrement européen avant d'être cédé aux "zoufria" du Cariane. Il fut architecturé sommairement certes, mais en secteur urbanisable, suivant la "trame Schneider", reprise par l'urbaniste en chef Michel Écochard qu'il relata en ces termes, dans son livre "Casablanca, le roman d'une ville" : “On numérote les baraques, on crée des rues centrales et des transversales qui coupent des blocs réguliers.” Mais ce qu'il ne disait pas, c'est qu'outre l'assainissement, sa conception se soucia de considérations d'intimité sociale. Ainsi, les enclos de baraques furent accolés par leur long côté, de façon que deux habitats voisins soient séparés par une cour. De même que les rangées de baraques, tracées à la règle en lignes jumelles et s'ouvrant sur une ruelle de 2 m. de large, furent séparées au verso, par une venelle mitoyenne d'un mètre de large, auquel on accéda par une bouche d'aération basse… pour y planter la menthe. Attribués par tribu, les blocs de baraques furent structurés autour d’une placette centrale et théâtre des veillées folkloriques quotidiennes, à laquelle aboutirent tous les passages. Forte de cette "centralité" urbanistique, la trame Schneider appliquée au Cariane centra, fut reprise pour Cariane "jdid" (nouveau), lors du recasement des bidonvilles de la ceinture côtière industrielle. (voir "L'Archétype bidonvillois", Al Bayane du 3 juillet 2007). Ba Mahjoub, simple menuisier depuis toujours, végéta longtemps dans sa petite échoppe, pour s'aigrir un peu à répéter sans cesse, “avoir eu une commande de 17 baraques à monter, en une seule journée, mais ne put en réaliser que 3, avec l'aide d'un apprenti.” Malgré un montage rudimentaire et laborieux sur terrain nu, il tint à fabriquer des baraques de bonne facture, dans le respect d'un savoir-faire qui se perd, suivant un process "fait main de tout bois" normalisé par son initiateur français. Dans son schéma minimaliste, la baraque standard de Schneider, qui ne manqua pas d'ergonomie, se présenta de l'extérieur, en enclos rectangulaire de 5 m. sur 4 m. et de 2,5 m. de hauteur, alors que les 20 m2 de l'habitacle furent agencés en 4 espaces distincts. Pour y avoir vécu mon enfance dans une baraque "standad", je me rappelai, que dès l'entrée principale, située dans le tiers gauche de l'enclos, on accéda par une cour de servitudes, à ciel ouvert et arbuste au centre, soit à l'intérieur de la baraque, soit à la "cochina" (cuisine) ou encore à la "cabina" (toilettes), toutes situées à droite. Forme cubique fermée par une porte large pour une personne et placée à l'angle droit et au fonds de l'enclos, la baraque proprement dite, mesura 4 m. de long sur 2,5 m. de large et 2,7 m. de haut, dont un toit en ados de 70 cm, protégé par du papier goudronné contre les infiltrations de la pluie. Casée en fonds de cour, la "cochina" était un espace abrité dédié au rangement d'objets et aux travaux domestiques (four à cuisson, jarre d'eau, métiers de travaux…). Ce fut là que mon défunt père tria ses "balles" de fripes américaines. Vocable espagnol comme cochina, "cabina" étaient des latrines occupant à droite de l'entrée principale, le mètre restant entre la baraque et l'enclos, courant sur toute la largeur de la baraque. Cet isoloir couvert par un semblant de tenture, se réduit simplement à un grand trou du genre "matmora", s'ouvrant par un petit trou bouché par une large pierre, mais suffisait à notre aisance et à l'assainissement de la maisonnée. Quand un artiste mal blanchi, fils d'un manœuvre "cariani" de surcroît, clama : “Je ne discute pas avec quelqu'un qui fait ses besoins dans un bidon”, il oublia que ces "toilettes" n'étaient creusées et vidées que par des "hartani" de son espèce! Pour Casablanca, la dynamique d’investissement des deux entre-guerres, appel et fuite de capitaux aidant, a généré une forte croissance, investie dans l’édification d’une importante infrastructure de base, dépassant celles de Marseille et de Paris réunies, à la même époque. A l'installation de Cariane jdid en 1938 sur 17 ha, une forte demande en baraque "clé en main" se manifesta, faisant de la location des baraques un business juteux, attisant la convoitise des compradores* du terroir et poussant de gros commerçants de "Derb Omar" à y prendre pied. La densité du Cariane passa très vite en 1925, de 300 baraques à 4.000, dont 200 boutiques et 5 fours à pain. Faisant fi des arrêtés municipaux d'expulsion de 1932 et 38, pour question de salubrité (typhus), le paiement en 1942, d'une taxe municipale de location de 8 frs/baraque, 15 frs/four et 30 frs/boutique, patenta définitivement les bidonvillois dans leur droit. Le riche hobereau qui ouvrit le bal, ne serait-il pas Bouazza ben Taïbi, qui installa pas moins de 2.000 nouvelles baraques en 1949, pour que le site s'appela dorénavant Cariane Bouazza II? Toujours est-il qu'en 1950, une groupie de huit spéculateurs fricota impunément sur 7.669 baraques, ne tardant pas à récupérer les 5.581 relevant encore du statut municipal, en récompense de leur "collaboration". Selon une enquête réalisée par André Adam en 1964, l'hectare de terre "planté" de 500 baraques, de 20 m2 de surface, louée à 100 frs/mois, rapportait 600.000 frs, soit presque 15 fois plus que semé en orge à 16 qx/ha et à 2.600 frs/ql. Grâce à ce trafic, les Bouazza, Khlifa "Lakraâ", El Bachir…, joyeux drilles grivois, pavanèrent avec leurs acolytes Ouled Lakhiri, Ouled Harress, Berrad, Ben Amar…, dans leurs limousines américaines, en compagnie de courtisanes juives. Convives assidus avec Abdelkrim Ben M’Sik, aux "ksayr" (soirées) sous tente caïdale de Smaïl Cherradi, dans sa "aârsa" (jardin) de Bab Marrakech, ils fredonnèrent aux chants de la grande cheikha Arjounia, accompagnée des jeunes Kebbou et Bouchaïb Bidaoui, portant leur échos, au delà des remparts, jusqu'au bidonville de Derb Taliane.
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